Qui donne sa langue au chat?

На что похоже изучение иностранного языка? Для меня это — взращивание нового мира в душе. Это одновременно очаровательно и мучительно. Если долго заниматься, то потребуется передышка. На время отдыха можно отдать язык коту, а можно почитать книгу Дени Хирсона «Ma langue au chat». Автор — англофон, много лет живущий во Франции — делится своими наблюдениями и смешными случаями из жизни иностранца, приручающего новый язык. Вот некоторые из них.

Denis HIRSON «Ma langue au chat»

On

On aura beaucoup de mal à se débarrasser des nuages. C’est Joël Collado, météorologue de France Info, qui vient de le dire à l’antenne; on devrait donc lui faire confiance.

Mais il ne dit pas qui c’est, on. Lui-même va-t-il s’y mettre?

Compterait-il sur les auditeurs peut-être?

Y a-t-il au monde un mot plus élastique que on, du latin homo, qui veut dire homme? Homme, donc, sans h ni terminaison. Même le m qui est resté a perdu une branche.

Il ne nous reste donc que le tronc, on. Qui pousse partout, même là où il n’y a personne.

Fraîchement arrivé en France, j’ai entendu une femme dire: Avec Julien on est allés au marché dimanche. Il me semblait au départ que deux personnes y étaient allées. Et pourtant, on y était aussi. Dans ce cas, on c’était qui?

On c’est un alibi, une place à prendre; une façon de se démultiplier ou de ne pas s’y rendre.

Quel mot magnifiquement nébuleux, qui nous rappelle que, même si on n’y est pas, il y a toujours une autre présence dans les parages.

On, finalement, ce n’est pas sans rappeler le Saint-Esprit.

Qui aidera peut-être Joël Collado à se débarrasser des nuages.

Deux langues

C’est comment, quand on est bilingue? Vraiment bilingue, quand on a dans la tête deux langues qui grandissent depuis la naissance, comme une femme peut avoir des jumeaux dans le ventre?

C’est comment, quand une action, une chose, un sentiment, un univers peuvent se nommer de deux façons à la fois? Deux façons qui se divisent, se dévisagent, déambulent comme deux étrangères qui habitent la même ville et se croisent de temps en temps?

C’est comment, quand on a deux langues aussi profondément enracinées dans l’esprit l’une que l’autre?

C’est comment, par exemple, pour notre fils?

C’était un dimanche soir bleu à n’en plus finir, un soir de printemps qui donnait enfin envie de marcher, marcher dans les rues de Paris, sous les arbres. Loin derrière nous le couloir gris de l’hiver.

Tout en parlant en français, nous sommes sortis d’un spectacle en anglais et allés dîner à la Grande Mosquée de Paris, mon fils, sa cousine et moi. Les clients, les serveurs semblaient aussi détendus que les moineaux penchés sur l’eau de la fontaine dans la cour intérieure.

Soulevant haut sa théière, le garçon me versait un verre de thé à la menthe. Mon fils regardait le verre avec envie. Vas-y, lui ai-je dit, prends-en un.

Pas tout de suite, m’a-t-il répondu, ou ça va me brûler les langues.

Hélène et Reine

Moi, en matière d’accents, mon modèle, c’est Hélène. En l’écrivant, je pense à elle. Avec ses deux accents elle fronce les sourcils: é, puis è. Élève c’est pareil, préfère aussi, ça monte et puis ça descend.

Mais alors pourquoi ne pas écrire élèctrique de la même façon, qu’est-ce qui s’est passé avec le è? C’est plutôt grave, parce que sur l’ordinateur, après avoir essayé cette orthographe-là et avant d’arriver à la bonne solution, j’ai tenté éléctrique et ensuite elèctrique, eléctrique en désespoir de cause, mais à chaque fois un fils rouge-sang est venu onduler sous le mot.

Comment éviter de tels acc(id)ents?

Voici une autre histoire. A la naissance de notre fils, ma femme était formelle: elle n’admettrait pas l’idée qu’on puisse ajouter des accents sur les deux e du prénom que nous avions choisi, comme l’exigeait la dame de la mairie. Je lui ai pourtant rendu visite deux fois à cette dame, une dénommée Reine, mais je suis revenu bredouille au chevet de ma femme à la maternité: retranchée dans le bunker de son bureau, Reine ne voulait rien savoir, Jérémie pouvait à la limite s’écrire Jérémy, point barre.

Nous étions en 1997. La loi qui réglemente l’attribution des prénoms avait pourtant changé depuis 1993 et les parents étaient donc libres de leur choix. Mais il semble que Reine n’était pas au courant, elle vivait à l’évidence à une autre époque: elle appliquait à la lettre l’article 1er de la loi du 11 germinal au XI, qui limitait les possibilités aux prénoms en usage dans les différents calendriers, et à ceux des personnages connus dans l’histoire ancienne — ceci jusqu’à l’arrivée dans son bureau de ma femme en robe de chambre, babouches assorties à ses pommettes rouge vif.

Face à la résistance jusqu’au-boutiste de Reine, elle a rempli le bureau de noms d’oiseaux anglais, presque tous composés de quatre lettres et plutôt aigus. Les murs ont tressailli, le plancher s’est craquelé, et au bout d’un certain temps (j’ignore la durée exacte, heureusement que je n’y étais pas), Reine a fini par abdiquer. Depuis, notre fils s’appelle officiellement Jeremy.

Ce récit est la preuve qu’une histoire d’accentuation ça peut aller loin, jusqu’à la filiation même, et qu’un filet de sang sous un mot à l’ordinateur ce n’est rien à côté d’un meurtre auquel on a échappé de justesse dans un bureau de l’administration française.

Ferré

Ferré en était déjà à chanter Avec le temps va, tout s’en va et moi j’étais à peine arrivé en France, j’avais la moitié de son âge, il avait le double de ma tristesse. Sa voix remplissait la chambre où une jolie fille dessinait sur une feuille blanche. Elle allait me dévoiler son corps mais je ne le savais pas, d’ailleurs je n’étais pas prêt, le désir en moi était plus fort que l’amour.

Je ne savais pas à quel point j’avais le temps pour moi, je ne savais même pas que j’étais un immigré. Simone de Beauvoir dit qu’on ne naît pas femme mais qu’on le devient et je ne la crois pas. Immigré, si: on ne naît pas immigré, un jour on se retrouve de l’autre côté d’une frontière et on ne fait pas demi-tour, dans mon cas mi-hasard, mi-gré. Et voilà que j’habitais une chambre à la Bastille, où une fille dessinait un arbre, le tronc et les branches entièrement constitués de visages.

Ferré chantait les plus chouettes souvenirs et de la France, moi, j’en avais si peu. D’ailleurs je savais à peine quoi dire une fois son visage si près, ses cheveux couleur de lune sur mon oreiller. Elle avait un corps de printemps mais mon cœur n’était pas encore sorti de l’hiver, à peine arrivé dans ce pays si lointain.

Même en plein baiser la langue peut rester étrangère; toute une autre vie encore à venir.

Bancal

Le mot bancal me fait toujours penser à deux couples qui passent des vacances d’été ensemble dans la même maison, chaque femme amoureuse d’un homme qui n’est pas là. A l’époque quelqu’un m’a dit que ça, c’était une situation bancale.

J’étais en France que depuis peu de temps, j’ignorais l’existence de ce mot, ou si je l’avais déjà entendu il avait été emporté dans le flot verbal incohérent qui passait à l’époque par mes oreilles. Tout juste si j’arrivais à me maintenir debout dans ce déluge.

Je vivais seul en ville sur l’île de l’incompréhension, mes jours remplis par des bouches d’où s’échappait à volonté la langue française, mes nuits remplies de solitude.

Pourtant, une des femmes de la maison lointaine était amoureuse de moi et moi d’elle.

Voici comment le mot m’est entré dans la peau, un été bancal habité par l’espoir, tandis que la falaise du manque tombait raide à mes pieds.

Les Serbes en forêt de Rambouillet

Et comment il va, Marie-Patrick? Au téléphone, je prends des nouvelles du mari d’une amie.

Très bien. Ce soir, il est allé écouter les Serbes ramer.

Ah bon. Je suis sans doute un peu distrait, je ne saisis pas tout à fait.

Les Serbes qui rament, me dis-je. S’agit-il de migrants? Ici, en France? Eux, ils rament jour et nuit. Mais y en a-t-il en provenance de Serbie aussi?

Où ça? je demande.

En forêt de Rambouillet. Il y est allé avec quelques copains.

Je connais Marie-Patrick, il n’a rien d’un voyeur. Et de toute façon, c’est quoi ce micmac, des Serbes qui rament à Rambouillet?

Après Calais et le campement sous le métro aérien à Paris, des migrants en mal de logement ont-ils investi toute une forêt?

Et puis, pourquoi aller écouter les Serbes? Font-ils un concert ce soir?

Excuse-moi, mais tu peux répéter? Il est où déjà, Maris-Patrick?

A Rambouillet. Il est allé écouter les cerfs bramer.

Se jeter

… la Rieule, petite rivière
qui se jette dans l’Andelle

Flaubert, Madame Bovary

Mais comment une rivière fait-elle pour se jeter?

Qu’on se jette par la fenêtre d’une maison en feu, ça se comprend.

Qu’on se jette à la tête ou bien au cou de quelqu’un si on veut.

Mais que les rivières françaises, les grandes comme les petites, soient capables de quitter leurs lits, prendre leur élan et se jeter a l’eau pour aller voir ailleurs, cela relève de l’exploit.

X

Impossible d’imaginer deu, creu, dou, heureu.

x en terminaison de mot — point de suture en plein dans le silence.

Douceur

A l’aéroport de Roissy, au retour de cinq semaines aux États-Unis, la première chose qui me frappe c’est la douceur de ce qui est dit.

Non, tout le monde n’y est pas poli, ni souriant, loin de là. Et oui, Roissy on aurait pu le concevoir en se fondant sur les besoins des voyageurs. Par endroits, la signalétiques est si parcimonieuse qu’on dirait un avare face à un clochard.

Mais ici les mots ne sortent pas avec cette force vitaminée, hormonale des Américains, on n’élève pas la voix pour s’en faire un bouclier contre autrui.

Non, à Roissy tout le monde n’est pas en train de faire l’amour. Mais les lèvres des Français déversent des phrases liquides, légères, presque aérées, pourtant ciselées et précises.

Non, bien sûr ce n’est pas le cas de tout le monde. Cependant, dans les grands halls, devant le tapis roulant des bagages, en pleine émotion de séparations et de retrouvailles, en dépit même des vouvoiements, la parole sort fondante de la bouche.

Pas de cris, pas de heurts. Qu’est-ce qu’on la caresse, la langue française.

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