S’envoler vers le plaisir de lecture avec l’oeuvre d’Antoine Bello

Что бы сделали вы, почувствовав, что задыхаетесь в плену собственного успеха? Вокер принял кардинальное решение: он сбежал. Сбежал от счастливой семейной жизни и удачной карьеры, не оставив шансов на возвращение, сымитировав свою смерть. Тщательно продумал план, предусмотрел множество деталей, и решительно шагнул вперед – навстречу свободе и новой жизни. Но с самого начала все пошло не так, как он предполагал. Перед Вокером возникло неожиданное препятствие в лице Шеферда — опытного охотника за беглецами, сильного противника. Жизнь Вокера превратилась в бегство – каждый день представляет угрозу быть найденным. Кто победит в этой гонке? Какая новая жизнь ожидает Вокера? Познакомьтесь с отрывком из увлекательного романа Антуана Белло «Человек, который улетел»:

 

Antoine Bello « L’homme qui s’envola »

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Où est Sara à cette heure-ci ? Je ne lui ai pas posé la question ce matin. Elle déjeune souvent avec Melissa le mercredi. A moins qu’elle ne retouche les statuts de la fondation avec Robbie au Starbucks de Riverside. Elle aussi encaissera bravement la nouvelle, pas parce qu’elle est la femme du patron,mais parce qu’elle est Sarah, tout simplement.

Je peux prédire sa réaction. A sa place, j’appellerais le hangar pour qu’on me prépare un Cessna. En moins d’une heure, je serais à pied d’oeuvre – et motorisé avec ça : si les Rangers me refusent leur hélico, j’ai mon appareil. Je ne dépends de personne.

Sarah ne raisonne pas ainsi. Elle va sauter dans la Prius. Parce que c’est plus simple. Parce qu’elle a les clés dans son sac. Parce qu’elle voudra rester en contact avec les enfants. Parce qu’elle répugnera à ameuter la terre entière avant d’être fixée sur mon sort.

Parce que pendant les deux heures du trajet, elle pourra continuer à me croire vivant.

Sur place, elle se battra comme une lionne. Remontera le moral des troupes (« Gardez vos condoléances, messieurs »). Demandera à se rendre sur les lieux, là, maintenant, tout de suite. Balaiera les objections des Rangers (« Nous en revenons, madame, il n’y a plus rien à faire). Exigera qu’on lui fournisse un pilote. Finira comme toujours par obtenir gain de cause.

Elle survolera la scène, apercevra un siège calciné, un pan du fuselage en charpie, mais point de Walker. Le Ranger assis à ses côtés lui rappelera que les avions de tourisme ne sont pas équipés de parachutes, que le turboprop s’est encastré dans la montagne à cinq cents kilomètres-heures et qu’on a entendu l’exploision jusqu’à Alamosa. Sarah le convaincra quand même de lancer des recherches, promettra de rembourser le comté et de payer tout le monde en heures sup’.

Je continue à marcher. La végétation, de plus en plus touffue, complique ma progression. Une féroce envie d’uriner me prend, que je retiens en espérant pouvoir me soulager dans un cours d’eau. Quand il devient évident que j’ai présumé de mes forces, je pisse contre trois troncs d’arbres en triangle distants d’une cinquantaine de pas – la limote autorisée par mon périnée – pour désorienter les molosses que j’imagine lancés à ma poursuite. Je ne m’illusionne pas trop sur l’efficacité de mon stratgème auprès des ours, qui ont l’odorat dix fois plus développé que les chiens.

Cette formalité accomplie, je me mets à la recherche d’un refuge pour la nuit. Le fond de l’air s’est sensiblement rafraîchi depuis la disparition du soleil ; la météo prédit qu’il gèlera autour de 5 heures du matin. Je me suis interdit de faire du feu pendant la durée des recherches. Autant dire qu’avec pour toute protection une couverture de soixante grammes et un carré de toile de parachute en polyester, la nuit s’annonce frisquette.

Ma priorité est de m’abriter du vent, qui, à ces altitudes, a vite fait de vous congeler son homme. Je trouve un monticule rocheux orienté au sud-est, au bord d’Indian Creek. Il est doté d’une anfractuosité juste assez longue pour que je puisse m’y étendre et assez étroite pour piéger ma chaleur.

Après avoir rempli ma gourde, je m’assieds en gémissant sur le seuil de mon nouveau logement et je délace enfin mes chaussures. Sous le bandage, ma cheville ressemble à un jambon. Elle est violacée, d’une teinte marbrée qui foncera pendant la nuit. J’imbibe la gaz d’eau glacée et je surélève ma jambe en la posant sur un rocher.

Puis j’évalue aussi froidement que possible la situation.

Une évidence d’abord : je ne suis pas près de récupérer mon sac. Au rythme actuel, plusieurs jours de marche m’en séparent, sans parler du fait que deux des plus redoutables sommets du parc se dressent sur ma route.

Deuxième constat : mon état physique ne va pas s’améliorer à court terme. Alors que les effets du Vicodin se dissipent, je suis en mesure de dire que la douleur n’a pas reculé, au contraire. Ma cheville va entraver encore longtemps mes mouvements. Quand à ma faiblesse générale, elle augmente les risques d’infection de mon bras.

Troisièmement, je vais devoir rationner mes ressources. Mon sac contient six plats lyophilisés. Il est recommandé d’en consommer deux par jour, je devrai me limiter à un. Je décide de même économiser mes comprimés de Vicodin en prévision des séances de marche.

La nuit est tombée. Ma couverture d’astronaute sur le dos, je mange un taboulé au poulet avec les doigts en lampant à ma gourde. J’ai mal, j’ai froid, une nuit épouvantable m’attend, mais à cet instant il en faudrait davantage pour m’abattre. J’ai réussi mon coup. Je suis un homme libre. Estropié, sous la menace des ours et des coyotes, mais libre. Je n’ai pas éprouvé ce sentiment depuis vingt ans.

Je m’apprête à me glisser dans ma niche quand j’entends le bourdonnement d’un hélicopetère. Il fait bientôt irruption dans le ciel, fendant les ténèbres, tous feux allumés. Je suis trop loin pour distinguer l’intérieur du cockpit, pourtant l’image de Sarah, penchée à la fenêtre,  s’impose à moi. Les traits creusés, les joues inondées de larmes, elle fouille l’obscurité des yeux à la recherche d’un feu ou d’un signal de détresse, en suppliant le pilote d’effectuer un dernier passage.

Et là, l’horreur de mongeste m’apparaît. Ce soir, par ma faute, les quatre êtres que j’aime le plus au monde sont plongés dans le pire cauchemar de leur existance. Un pan de leur univers s’est écroulé, celui qu’ils remettaient le moins en cause et qui les avait jusqu’ici protégés de toutes les tempêtes. Plus rien ne sera comme avant : Sarah élèvera les enfants seule, Andy apprendra à conduire à Jess et Joey devra s’habituer à répondre que son père ne peut pas coacher l’équipe de base-ball parce qu’il est mort.

En regardant l’hélico s’éloigner dans la nuit, je prends conscience d’autre chose : j’ai passé le point de non-retour. Emerger de la forêt au petit matin, en prétendant m’être changé au bord du turboprop et avoir par miracle survécu à l’accident, n’est pas une option.

Le temps est venu d’assumer les conséquences de mes actes.

Photo: http://www.gallimard.fr

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