По ту сторону камеры: Патрис Леконт

Вот такая избушка (не на курьих ножках) обнаружилась около моего дома. В ней регулярно появляются новые книги, а те, что я кладу вместо взятых мною, быстро исчезают. Всегда радуюсь, когда прохожу мимо: правило «взял одну — положи вместо неё другую» соблюдается, домушка всегда наполнена книгами.

Недавно нашла в волшебном домике книгу с интервью известных режиссеров. Вот что рассказал автору Лорену Тирару о себе и своём творчестве Патрис Леконт:

Patrice Leconte

Patrice Leconte est-il estimé à sa juste valeur? Sa maîtrise visuelle n’est plus à démontrer, et les nombreux succès, publics et critiques, qui parsèment sa carrière, l’ont installé de fait dans le cercle très restreint des réalisateurs qui dominent le cinéma français. Mais sa façon de passer indifféremment d’un sujet à l’autre et de traiter sur pied d’apparente égalité des films comme «Ridicule» ou «Les Bronzés» a tendance à partager les opinions. Certains ne voient en lui qu’un talentueux faiseur, un mercenaire inspiré, alors que les autres, au contraire, admirent la liberté avec laquelle il fait ses choix, et savent faire la part des choses entre un fil ouvertement commercial et des projets plus personnels. Vouant une admiration profonde à Patrice Leconte depuis «Tandem», je me situe, personnellement, dans la deuxième catégorie. Il fait d’ailleurs partie des premiers cinéastes que j’ai eus envie de rencontrer pour ses «Leçons de cinéma», et je l’avais contacté dans ce but à l’époque de «Ridicule». Il avait humblement décliné, pour finalement accepter quelques années plus tard, après un long préambule sur son incapacité à s’imaginer en «professeur» de quoi que ce soit…

L’étape la plus importante de ma formation de cinéaste a été le tournage de mon premier film, «Les vécés étaient fermés de l’intérieur», sur lequel j’ai collectionné à peu près toutes les maladresses possibles et imaginables, notamment en ce qui concerne le travail avec les comédiens. J’avais vingt-neuf ans, j’avais fait une école de cinéma qui ne m’avais pas appris grand-chose, et je n’avais jamais mis les pieds sur un plateau de cinéma. J’avais certes réalisé des courts métrages, mais le monde du court métrage n’a rien à voir avec la réalité du cinéma; vous travaillez avec des copains, les enjeux financiers restent minimes, donc il n’y a pas de pression, juste l’envie que ce soit réussi, c’est tout. Je n’avais jamais été assistant, je n’avais jamais vu un metteur en scène mener à bien son film. Et ça, ça m’a beaucoup manqué parce que si j’avais vu un réalisateur au travail, j’aurais pu dire: «Tiens il fait comme ça, il a tort… Tiens il fait comme ça, il a raison…» Donc je recommande vivement à tout futur cinéaste d’aller travailler au moins une fois sur le plateau, pour comprendre ce qu’est la réalité de ce métier. Mais avant cela, pour apprendre à s’exprimer par l’image, pour arriver à comprendre ce qu’est un plan, le rythme, la narration, etc., il est nécessaire de s’entrainer en tournant des courts métrages. Personnellement, j’en ai fait beaucoup — pas loin d’une vingtaine. Et je suis effaré de voir qu’aujourd’hui encore, il y a des gens qui se lancent dans un premier long métrage sans avoir jamais tourné un seul mètre de pellicule. C’est absurde. Et il y a des producteurs qui se rendent complices de cela en disant: «On va lui mettre une bonne équipe et ça va aller!» Ça me rend fou. Surtout maintenant, où l’on peut tourner un film pour trois francs six sous avec une petite caméra DV. Il ny a pas besoin d’avoir le budget de «Titanic» pour s’exprimer. Parfois, je rencontre des jeunes qui disent: «Oui mais les petites caméras, ça ne fait pas du vrai cinéma». Peut-être, mais moi j’ai toujours pensé, justement, que les contraintes étaient le meilleur moteur possible pour la création. Et ces petites caméras permettent justement d’inventer un film en accord avec les moyens dont on dispose.

Ne plus écrire pour être objectif

J’en veux beaucoup à la Nouvelle Vague — que j’adore par ailleurs — parce qu’elle a mis sur un piédestal la notion de cinéma d’auteur, comme s’il n’y avait que les films d’auteurs qui valaient quelque chose. Je trouve ça très dommage, parce que, fort de cela, j’ai toujours écrit ou co-écrit mes films. Jusqu’au jour où j’ai tourné «Ridicule», dont je n’avais pas écrit le scénario. Et cette expérience m’a ouvert les yeux. D’abord parce que j’avais un vrai point de vue objectif sur le scénario. J’avais du recul. Je pouvais ouvertement dire: «Ce scénario est formidable.» Donc ça me donnait des ailes pour être à la hauteur de ce que j’avais lu. Or vous ne pouvez pas faire ça avec vos propres scénarios. Vous ne pouvez pas dire: «Je veux être à la hauteur de ce que j’ai écrit.» Ce serait d’une prétention folle. Du coup, comme j’étais objectivement sûr du scénario, j’ai pu me concentrer plus que jamais sur l’exercice de la mise en scène, les rapports avec les acteurs, bref, tout ce qui fait la qualité d’un film, au delà de son scénario. Avec le recul, je trouve que ce n’est finalement pas une si bonne idée de tourner ce q’on écrit.

L’expression d’un point de vue

Il y a une grammaire commune à tous les cinéastes médiocres, et qui permet au public de suivre un film avec un minimum d’intérêt. Mais ce n’est pas ça, le cinéma. Et les grands cinéastes sont ceux qui ont su inventer une grammaire, un style, une manière de faire qui leur est propre. Comme les grands écrivains, d’ailleurs, ou les grands peintres; comme tous les grands artistes en fait. Mais les grands cinéastes ne sont pas uniquement ceux dont on reconnaît le style à coup sûr. Ce sont ceux qui ont effectivement su créer une grammaire à eux, qui est souvent nourrie de la grammaire des autres, pourquoi pas, mais qui est une manière de s’exprimer qui n’est pas une manière convenue. J’ai vu dans des films des choses fulgurantes dont je me suis dit: «Ah merde, c’est fort ce qu’il fait là!» Ce n’est pas forcément quelque chose d’épatant, ni même de visible. Parfois c’est juste quelque chose de sensible et d’intelligent. L’intelligence de la mise en scène, ce n’est pas une vaine expression. Entre un film bien mis en scène et un film mal mis en scène, il y a un monde. Il devrait toujours y avoir, pour chaque séquence, comme pour chaque film bien sûr, un vrai projet de mise en scène. Et ça ne se fait pas en soufflant dessus. Il faut digérer, s’immerger, savoir vraiment ce qu’on veut faire, ce qu’une scène doit exprimer. Il faut donc être dans le sentiment exact de la scène, pour savoir quel en est l’enjeu émotionnel ou comique. Si on ne se pose pas ces questions, on ne peut pas mettre en scène, ou alors on met en scène de manière banale ou hasardeuse. Une fois qu’on a réussi à déterminer: «Qu’est-ce que je veux?Quel est le sens de cette scène?», on peut se poser des questions qui sont autant intellectuelles qu’instinctives sur la façon dont on va la filmer. Mais s’il n’y a pas eu tout ce travail de réflexion avant, il y a peu de chance qu’on puisse arriver à mettre en scène de manière intelligente, savoir exactement quel point de vue adopter. Ce que j’aime, c’est m’écarter de ce que j’appelle le point de vue du passant, c’est-à-dire un point de vue qui pourrait être celui de quelqu’un qui serait banalement dans la m^me pièce, et aller trouver des angles plus inattendus. Dans la vie, on n’a jamais la tête au ras de la moquette, jamais. Mais quand c’est nécessaire, quand ça a du sens, vous adoptez un point de vue au plus bas du sol ou avec une focale qui n’est pas la focale de votre œil, et ça donne donne des images qui sont l’expression de quelque chose de plus personnel, de plus intéressant. Pour moi, la mise ne scène est l’expression d’un seul point de vue. et donc, d’une seule caméra. C’est pour ça que j’étais fou de rage l’année où «Dancer in the Dark» a eu la Palme d’or, et où Lars Von Trier s’est répandu partout en disant qu’il avait tourné les séquences musicales avec cent caméras. Et tout le monde a fait des gorges chaudes de ça en disant: «C’est formidables!» Alors que le seul fait de mettre cent caméras, c’est, pour moi, le pied de nez le plus infamant à la notion même de mise en scène!

Les vraies questions se résolvent avant le tournage

La veille du tournage, ou le jour-même, très tôt le matin, j’ai besoin de passer du temps tout seul dans le décor, pour réfléchir à ce que j’ai imaginé en théorie quand j’étais tout seul devant le scénario, pour fignoler, finaliser mes idées et parfois inventer autre chose. En fait, ce travail de réflexion commence au moment des repérages. Quand, pendant la préparation du film, je découvre les lieux de tournage que l’on me propose, il faut bien sûr que le lieu me plaise en tant que tel, qu’il corresponde à ce que j’avais en tête. Mais il faut aussi et surtout que je puisse déjà imaginer comment je vais pouvoir mettre en scène de façon intelligente la scène que nous allons tourner quelques semaines plus tard dans ce décor. Les solutions de mise en scène, il n’y a que dans le décor que j’arrive à les résoudre. Alors je prends des notes, des choses un peu hâtives que moi seul peux relire. Et puis les acteurs arrivent. J’ai toujours le principe, qui je crois est un bon principe, de les faire passer sur le plateau avant la maquillage, les costumes, etc. Et on joue la scène. je leur explique ce que j’ai prévu, et soit ils se coulent dedans en disant «Oui, c’est très bien», soit on modifie. Et surtout, on joue la scène en entier. Et on la rejoue, et on la rejoue, et on trouve le rythme, la respiration, les regards, tout. On ne l’use pas, on ne la joue pas avec toute l’âme, pour en garder un peu sous le pied. Mais on sait exactement ce qu’on va faire. Ça prend du temps, bien sûr, mais je crois que c’est du temps gagné sur tout le reste. Une fois qu’on est tous bien d’accord, les acteurs partent au maquillage, ou à l’habillage, ou à la cantine. Moi, je reste sur place, avec l’essentiel de l’équipe image, assistanat, son, scripte, machiniste, et je leur dis: «Voilà comment la scène va être découpée.» Et après, on tourne. Et du coup, ce n’est jamais quelque chose de fastidieux, parce que nous sommes débarrassés de toutes les questions possibles. Le tournage devient une pure partie de plaisir parce qu’on n’a plus qu’à faire du cinéma et à s’intéresser aux acteurs, avec l’exaltation de voir se concrétiser tout ce que l’on a imaginé depuis tans de mois. Donc, la partie tournage est une partie sur laquelle il n’y a plus de discussions, celles qui sont souvent un peu vaseuses, oiseuses. Et puis les discussions de dernière minute, ça fait souvent perdre beaucoup de temps; ce n’est pas à quatre heures de l’après-midi, quand on a encore huit plans à tourner, qu’on peut se permettre de discuter du sens de la scène.

Cadrer permet d’être plus intime

Depuis «Tandem», je cadre mes films, c’est à dire que j’opère moi-même la caméra. Quand je le fais, je ferme l’œil gauche et j’ouvre l’œil droit, je mets le casque pour le son, et d’une certaine manière je suis déjà un peu au cinéma. D’ailleurs je suis étonné de ce que si peu de réalisateurs de par le monde cadrent leurs films. Personnellement, j’ai toujours aimé l’idée d’inscrire dans un rectangle précis les images que j’avais en tête. J’ai toujours eu un mal fou à déléguer cette fonction-là. Un cadre, une image, l’exercice de la caméra, c’est quelque chose qui est assez physique et sensuel. Il y a des libertés de cadre que vous pouvez prendre, parce que c’est votre film, et qu’un cadreur n’osera pas les prendre. Mais surtout, l’avantage qui pour moi n’a pas de prix, c’est le rapport complice que ça induit avec les acteurs. Je ne pourrais pas revenir en arrière là-dessus. Aucun des acteurs avec qui j’ai travaillé depuis que je cadre ne m’a dit: «Ça me gène que tu cadres.» Au contraire, ils ont tous été sensibles au fait que le type qui les filmait, c’était le type qui faisait le film, et qu’il n’y avait pas d’intermédiaire à part la caméra, cette grosse machine derrière laquelle, certes, on se cache un peu. On n’est pas totalement à nu quand on cadre, on est protégé par la caméra. Mais disons que c’est une protection qui permet d’être infiniment intime avec les acteurs. Depuis que je cadre, j’ai aussi l’impression de me poser de manière plus efficace les bonnes questions. J’ai l’impression de savoir mieux ce que je veux et de mieux savoir l’obtenir de moi-même. L’un de mes grands principes, au cadre — et même à la mise en scène -, c’est de faire comme si je n’avais pas lu le scénario. Je trouve ça très important. Quand vous êtes acteur, ou quand vous mettez en scène un film, vous avez lu li scénario, donc vous savez comment ça va se terminer. Or la fille qui joue Jeanne d’Arc devrait jouer en ne sachant pas qu’elle va être brûlée, et les passagers ne devrait pas savoir que ça va couler. Et c’est pareil pour un cadreur: idéalement, il ne devrait pas savoir ce qui va se passer dans le champ. Par exemple, si un acteur s’évanouit et que le cadreur l’accompagne, ça veut dire: «j’étais au courant qu’il allait s’évanouir». En revanche, si le cadreur a un temps de réaction, comme s’il se disait «Oh merde, qu’est-ce qui se passe?», ça donne une vérité inouïe à l’évanouissement de l’acteur!

Mon verbe préféré, c’est le verbe faire

Il y a toute une génération de jeunes cinéastes qui ont été formés — brillamment, parfois — par la BD, le clip ou la pub. Ce sont souvent des gens qui ont un sens très aiguisé de l’image, de la technique pure, mais qui sont un peu désemparés quand ils doivent travailler avec des acteurs. Personnellement, j’ai eu tout faux sur mon premier film. A l’époque, ça me rassurait de me passionner pour la technique, je ne m’occupais pratiquement pas des acteurs. Je ne leur parlais que pour leur dire: «Je crois que tu avais le col relevé dans le plan précédent.» C’est affreux, j’ai honte, mais bon, c’était il y a trente ans. Donc, ça, les acteurs me l’ont évidemment fait payer, et ça ne s’est plus jamais reproduit. Je me suis rendu compte à quel point les acteurs sont des personnes fragiles, qu’il faut protéger et aimer. On a tous besoin d’être aimé, certes, mais les acteurs plus que d’autres, parce qu’ils font un métier très risqué. Vu de l’extérieur, on pourrait croire que ce sont des glandeurs qu’on va chercher pour qu’ils viennent dire un petit bout de texte avant de repartir dans leur caravane lire les magazines de la semaine en mangeant des biscuits. Mais on imagine mal la mise en péril que constitue pour eux le tournage de chaque plan; être seul dans la lumière avec une équipe qui les regarde et un metteur en scène qui leur dit: «Allez, à toi, et sois formidable!» Et il faut qu’ils soient formidables à chaque prise. Des personnes qui se mettent autant en danger, si on ne les entoure pas d’un minimum d’amour et de confiance, ils ne peuvent pas donner grand-chose. Les acteurs ont donc besoin de sentir qu’en face, il y a un type qui est attentif, gourmand de leur travail. Et ce dès la première rencontre. A la base, le casting se fait parce que vous avez envie de filmer un acteur. S’il n’y a pas un élan positif vers un acteur, ce n’est pas la peine. Moi, je ne peux pas travailler avec des acteurs que je n’aime pas. Je suis obligé, au départ, d’aimer les gens que j’engage. Après, pour ce qui est de la direction d’acteur à proprement parler, je pense qu’on n’a pas systématiquement besoin de passer pour les mots pour exprimer ce qu’on veut. J’ai des souvenirs bouleversants d’intensité de rapports avec des acteurs, où c’était juste sur un regard que le courant passait, qu’on savait ce qu’on avait à se dire. J’ai toujours eu un peu de méfiance pour les metteurs en scène qui expliquent, qui parlent beaucoup. Je me méfie de la psychologie. Mon verbe préféré est le verbe faire. Si on fait les choses, on se rend compte si c’est bien. Si ce n’est pas bien, on dit un mot et on corrige. Mais le mieux, c’est faire. D’autre part, je suis plutôt rigoureux sur le respect du texte. Quand quelque chose est bien écrit, ça vaut le coup d’être respecté. Sur «Ridicule», le dialogue était respecté à la virgule près. J’aime bien quand les acteurs savent vraiment leur texte au rasoir. Ce n’est pas toujours le cas. Il n’y a qu’en étant débarrassé des problèmes de mémoire qu’un acteur peut être très bon. Je suis sûr de ça. Je n’ai jamais vu des acteurs au meilleur de ce qu’ils pouvaient donner quand ils pataugent avec le texte. Parce qu’ils pensent davantage au texte qu’à se laisser aller dans le jeu et le personnage.

Retrouver le film qu’on avait imaginé

Le montage fonctionne essentiellement sur la confiance. Et la qualité de mes films doit beaucoup à Joëlle Hache qui est une monteuse géniale. Sans elle, je suis foutu. Elle est la troisième vraie créatrice du film, avec le scénariste en numéro un, et moi en numéro deux. D’ailleurs je ne lui donne jamais mes notes de tournage, parce que c’est à elle de faire son idée, de savoir comment elle sent la scène en fonction du matériel qu’elle a et de mes choix, qu’elle remet parfois en cause en disant: «Tu as préféré la prise 2 mais j’ai trouvé dans la 1 un truc qui m’a plu.» Et comme elle a un goût très, très pertinent sur les acteurs et la qualité du jeu, je lui fais confiance. Après elle me dit: «Et bien je peux te montrer la scène 12, je crois que je m’en suis pas mal sortie.» Elle me montre, et souvent je l’embrasse et je lui dis: «On ne change pas une image, c’est magnifique.» Ou bien je lui dis: «C’est très bien, mais je crois qu’on peut faire encore mieux», et je lui fais des suggestions. Et puis on avance comme ça, et le film se trouve monté. J’ai toujours beaucoup de mal à avoir du recul quand le film est fini. J’ai tendance à dire qu’un film est réussi ou raté en fonction de ce qu’il est proche de ce que vous aviez en tête au départ ou de ce qu’il vous a échappé. J’ai fait des films qui, hélas, ont creusé un fossé énorme entre l’idée et le résultat. Et puis il y a des films qui sont très proches de ce que j’avais en tête. Parfois, c’est même devenu mieux que ce que j’avais imaginé, par la grâce des acteurs, de la lumière ou du montage. C’est à ça qu’on peut juger vis-à-vis de soi-même si un film est réussi ou raté. Et ce qui est terrible, c’est que quand on fait mauvaise route, on ne s’en rend pas compte au tournage. Mais après, pendant le montage, on commence à se dire: «Ce n’est pas terrible ce film-là.» En fait, on ne se le dit pas, on se cache derrière son petit doigt, on croit que tout compte fait, ça va aller. Mais il y a un petit clignotant rouge au fond de la tête qui n’arrête pas de vous alerter. Et quand le film sort et que c’est un échec, eh bien le petit clignotant se rappelle à votre bon souvenir. Et vous dites: «Oui, c’est vrai, mais je n’ai pas voulu l’entendre.» Mais, de toute façon, vous n’auriez rien pu faire pour échapper au naufrage. Une chose qui est importante pour moi, c’est que le montage se fasse parallèlement au tournage. C’est très précieux, parce que quand une scène est ratée, on peut encore la retourner. Alors que quand vous faites le montage après, vous ne pouvez plus aller rechercher tout le monde pour refaire une scène. Or ce sont des choses qui arrivent. Parfois, on se plante. Sur mes premiers films, il m’arrivait même de me rendre compte, sur le tournage, que j’étais en train de me tromper, et de ne pas oser le dire et tout faire changer. Parce que j’avais peur que tout le monde m’engueule. Donc je faisais des trucs en sachant que ce n’était pas la meilleure solution. Au bout de quelques films quand même, je suis devenu un grand garçon, et j’ai eu le culot, qui est très simple, de dire: «Non pardon, excusez-moi», je me goure, on ne va pas faire comme ça.» Et aujourd’hui, j’ai l’aplomb, la sérénité de dire au producteur et aux acteurs: «La scène qu’on a tourné avant hier, je l’ai ratée, on va la retourner.» Tout le monde respecte ça. Et personne ne m’a jamais refusé de retourner une scène ratée pour qu’elle soit réussie.

Faire du cinéma, c’est faire l’intéressant

Pour moi, le cinéma est davantage un moyen d’expression que d’exploration. Je ne fais pas du cinéma comme je ferais une analyse, par exemple. Je ne fais pas du cinéma pour m’explorer moi-même. Mais c’est vrai qu’il y a des choses secrètes que je ressens fortement et que je n’ai pas envie de garder pour moi. Pour moi, ça pourrait se résumer à ça, faire un film: exprimer des choses que je n’aurais pas l’occasion ou la chance d’exprimer si je ne faisais pas de cinéma. Et quand je parle de choses secrètes, ce sont des choses très quotidiennes, simples, humaines, qui appartiennent autant à l’émotion qu’à la comédie. Il s’agit de faire fonctionner son imagination, qu’elle soit émotionnelle ou dramaturgique, et faire en sorte qu’un jour ou l’autre, ça soit sur l’écran et que ça régale les gens qui sont dans la salle. Parce qu’il y a quand même à la base une notion de partage. Mais quand je fais un film, je ne pense qu’à moi. Je fais un film pour qu’il me plaise à moi, pour qu’il soit l’expression exacte de ce que j’ai envie d’exprimer. Et avec la prétention que ce que j’exprime va plaire à d’autres. Parce que des choses qui moi me font vibrer, ou me font rire, ou m’émeuvent, eh bien j’ai envie de n’être pas seul à en rire ou à en être ému. Quand on fait un film, on fait un peu son intéressant, parce qu’on prétend intéresser les gens avec un spectacle qu’on leur donne, qui est le spectacle de notre imagination, et donc forcément le spectacle de nous-même. Ce n’est pas anodin un film. Si c’est anodin, c’est qu’on n’aurait pas dû le tourner.

Filmographie:

La Veuve de Saint-Pierre
2000
Félix et Lola
2001
Rue des plaisirs
2001
L'Homme du train
2002
Confidences trop intimes
2003
Dogora ouvrons les yeux
2004
Les Bronzés 3 amis pour la vie
2005
Mon meilleur ami
2006
Mes stars et moi
2008
La Guerre des Miss
2008
Voir la mer
2010
Le Magasin des suicides
2012
Une Promesse
2014
Une Heure de tranquillité
2014
Salauds de pauvres
2019
Нет комментариев