Слова, непроизносимые вслух: Les mots qu’on ne me dit pas

В начале было слово — много слов, не произнесенных вслух. Потом –  книга, полная юмора и трогательных историй. Затем – фильм, получивший массу положительных откликов от зрителей.

Идея фильма La famille bélier с Louane в главной роли родилась из истории Véronique Poulain, рассказанной ей самой в книге ‘’Les mots qu’on ne me dit pas.’’  Героиня этой книги –  слышащая девочка, выросшая в семье глухонемых родителей. Автор делится повседневными историями своей семьи и открывает перед нами новый мир – мир, в котором слова не произносят. Книга читается очень легко, ее персонажи удивляют, умиляют, смешат и волнуют. Вот несколько отрывков:

les mots qu'on ne me dit pas

Pourquoi ils ne parlent pas mes parents?
Pourquoi ils ne m’entendent pas?
Pourquoi ne puis-je pas hurler ‘’Papa’’ et ‘’Maman’’ à travers la maison pour qu’ils viennent me voir?

Pour les appeler, plusieurs solutions s’offrent à moi.
La feignante: j’attends qu’ils se retournent et me regardent. Faut pas avoir un truc trop urgent à demander.
La dynamique: ce que j’ai à dire ne peut pas attendre. Je me lève et leur tape sur l’épaule.
La nonchalante mais néanmoins la plus courante: j’allume et j’éteins la lumière. Ils se retournent. Je leur parle.
Ou alors, je balance un livre dans la pièce. Mais ça me fait mal au coeur, j’aime trop mes livres.
Ou bien, je jette un objet sur eux.

Parfois, il y a des couacs.
Quand je suis aux toilettes et qu’il n’y a plus de papier… Quand ils m’oublient dans l’appartement, qu’ils ferment la porte à clé en partant travailler, qu’ils ne m’entendent pas hurler derrière la porte. Ca ne sert à rien, je sais, mais je hurle quand même. Réflexe d’entendant…

 

 

Autant mon père me parle très peu, autant ma mère, vraie piplette, me vrille les nerfs à force de me taper sur l’épaule pour attirer mon attention, ou plutôt mon regard, sur les mains qu’elle agite dans tous les sens. Elle me hérisse. Le toc toc permanent sur l’épaule est une petite agression corporelle insupportable. Je sursaute systématiquement et cela me dérange physiquement. L’interrupteur est plus doux pour moi.
Mon père, qui l’a compris, pose très lentement sa main sur mon épaule et cela m’agace encore plus. Qu’il n’ose pas exprimer son désir de me parler me glace. Je prends cela pour un manque d’amour à mon égard.
Il n’y a rien à faire. C’est parfaitement injuste et injustifié mais quoi qu’ils fassent, ils m’énervent.
Quand mes parents me parlent, je dois les regarder. Je ne peux pas attacher mes lacets, je ne peux pas fouiller dans un tiroir, je ne peux pas leur tourner le dos et regarder par la fenêtre, je ne peux pas lire ou écrire en même temps qu’ils me parlent… La seule chose que je dois faire est de ne surtout pas les quitter des yeux.
C’est épuisant.
Les regarder pour les comprendre.
Scruter à la fois leurs gestes, leurs expressions, leurs imperceptibles mouvements de corps.
Impossible de faire autrement. Je tourne la tête une demi-seconde et c’est toute la conversation qui m’échappe.
Même si je comprends parfaitement la langue des signes, cela me demandera toujours plus de concentration que d’écouter la radio.
De la même façon, je dois chaque fois avoir les mains libres pour m’adresser à eux.
Pas de discussion possible en me coiffant, en faisant la cuisine, en sortant les poubelles.
Entre les deux, je choisis de ne pas trop leur parler.

 

 

Patrick, un ami de mon oncle, prend le RER pour rentrer chez lui à Massy-Palaiseau. Il est avec sa fille de cinq ans.
Après avoir conscencieusement vérifié sur le tableau lumineux que le train s’arrête bien à sa station, il monte dedans. Un haut-parleur annonce que suite à un problème de voirie, le train ne s’arrêtera pas en gare de Massy.
Patrick, bien entendu, n’entend pas.
En voyant que le train ne relentit pas à proximité de chez lui, il tire carrément sur le signal d’alarme. Le train s’arrête. Branle-bas de combat. Les voyageurs en colère s’excitent. Patrick, très calmement, pointe le quai du doigt : ‘’Moi sourd, moi descendre là’’.
Sa petite fille est morte de honte. Elle n’a pas entendu l’annonce, elle n’a pas su traduire?
Le conducteur arrive. Que s’est-il passé dans ce wagon? Quel est le problème?
Patrick, impassible, s’entête : ‘’Moi sourd, moi descendre là’’.
Le conducteur abdique. Et Patrick, imperturbable, descend là.

 

 

J’aime pas regarder la télé avec mes parents. Ils me demandent de traduire le journal télévisé. Je m’exécute. Arrive le moment où j’en ai marre. Je leur fais croire que je ne comprends pas ce que dit le présentateur.
Quand c’est un film, c’est insupportable. Toutes les cinq minutes, j’ai droit à : ‘’Lui dit quoi?’’, ‘’Et elle, ele dit quoi?’’
Je n’ai aucune patience avec eux. Aucune compassion. Très vite, ça me saoule. Prétextant un devoir à faire, je m’éclipse dans ma chambre. Démerdez-vous!
Alexis a une autre méthode. Ce qui l’amuse, c’est de raconter n’importe quoi à ses parents, qui l’écoutent religieusement:
‘’Une bombe nucléaire a explosé en Bretagne.’’
‘’Nouvelle loi: à compter de ce jour, les sourds devront porter un appareil pour entendre comme tout le monde.’’ Guy se lève d’un bond, prend sa voiture et s’en va faire la révolution.
‘’On a retrouvé un vieux document écrit de la main de Napoléon, il lègue la Corse aux sourds.’’ Guy décide illico que les prochaines vacances, ils les passeront en Corse.

 

 

La langue des signes est la plus expressive que je connaisse.
Lorsqu’un sourd parle, tout son corps est en mouvement. Tout son visage s’exprime. Impossible de parler en langue des signes sans bouger un muscle de son minois. Qu’on l’ait joli ou pas. Récemment liftée, passez votre chemin. L’émotion, la force d’un sentiment passent par la seule expression du visage. Si vous voulez transmettre un sentiment de tristesse, la bouche doit s’affaisser, les yeux se rétrésir. A l’inverse, pour un sentiment de joie, le visage doit s’éclairer, la bouche sourire, les yeux pétiller. J’ai constaté que c’était la grande difficulté des entendants. Faire la grimace, déformer leurs traits, bouger leur corps. Si vous parlez d’une personne que vous trouver très, mais alors très, très laide, le signe ‘’laid’’ sera le même et il ne s’agit pas de faire le signe ‘’très’’ dix fois de suite pour expliquer l’ampleur des dégâts. C’est la grimace, donc la monstruosité que votre visage mimera, qui fera toute la différence et exprimera le degré de laideur de cette personne. Ainsi, vous qui vous exprimez, devenez la laideur à cet instant-là, hideuse. Et la plupart des gens n’aiment pas déformer leurs traits.
Pour la beauté, pareil. Le visage doit avoir une belle expression. Bien sûr, si vous ressemblez à Quasimodo, vous n’en deviendrez pas pour autant Marlon Brando, mais tous les visages peuvent irradier.

Il n’y a pas de conjugaison en langue de signes. Il n’y a pas de temps en langues de signes. Il y a un avant, un après, un pendant, mais pas de passé composé, de futur, de présent.
‘’J’ai grossi. Il serait bien que j’aille faire du sport’’ se dit : ‘’Moi, grosse, obligée sport.’’
‘’Je partirai en vacances’’ se dit : ‘’Prochaine moi partir vacances.’’
La notion de temps est donnée par le corps. Au futur, il bascule imperceptiblement vers l’avant. Au passé, il part en arrière. Ce que les sourds appellent très joliment ‘’la ligne du temps’’.
C’est la spécialité de mon père. Le B.A.-BA de la communication non verbale. Avant de savoir les signes, bouge ton corps. Sois à l’aise avec lui, apprivoise-le. N’aie pas peur d’être ridicule. Fais la grimace. Louche s’il le faut. Exprime-toi sans ta voix mais dans la joie.

Source: Véronique Poulain, «Les mots qu’on ne me dit pas», éditions Stock, 2014
Photo de Véronique Poulain, source: www.lefigaro.fr 

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